Aujourd'hui, c'est mon tour de garde. J'avais espéré y échapper, mais non, me voilà prête pour plusieurs heures d'ennui (parce que soyons honnête, il ne s'y passe jamais rien). Evidemment, on n'a pas forcément le droit d'apporter une quelconque distraction, tout ce que je peux faire, donc, c'est prier pour que mon "partenaire" ne soit pas un crétin fini. Je prends mon épée, et mes quelques affaires, puis me rend au tunnel Caldecott où se font les tours de garde. Je soupire.

Mon collègue si on peut dire ça comme ça n'est pas encore là. Tant pis, peut-être que s'il est suffisamment en retard, je pourrais l'enguirlander, et donc trouver une occupation pour les heures qu'il me reste à passer ici ? Ou peut-être qu'au contraire je devrais faire des efforts, puisque justement on va rester coincés ici pendant un bon moment (et puis ce n'est pas l'endroit idéal pour se battre, avouons-le...). J'entends des pas, je me retourne, et je le vois. Shawn Adams (secrètement surnommé "Regard-qui-tue"). Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il a un don d'expiation. Je ne l'ai jamais expérimenté, mais personnellement, je ne vois pas trop ce que je pourrai regretter.

Je lève les yeux vers lui. Contrairement à certains, je ne les baisse pas (et il en est hors de question). Je commence à me sentir mal à l'aise. Des souvenirs remontent...j'ai 4 ans, et je tiens entre mes mains le cochon d'Inde de ma demie-soeur, celle que je déteste tant et que je n'ai pas revu depuis longtemps. Mes petites mains serrent l'animal, puis le relâchent dans la nature. Sa cage est vide, ma "soeur" arrive, sans me regarder. Si petites, et déjà capables de ressentir tant de haine...La petite regarde la cage de son animal, et la trouve vide. Elle se met à pleurer, et me montre du doigt, c'est "moi" la coupable. Mon moi à 4 ans ne dit rien, et se contente de sourire, en criant "N'importe quoi, j'ai rien fait moi !"

Ce jour-là, je m'étais dit que cet adorable animal serait bien mieux loin de sa maîtresse. Je respire un grand coup, et me dis donc que je n'ai pas à me sentir coupable (surtout pour une raison aussi futile), je me sens mieux. Je le regarde, il n'a pas semblé remarquer ma petite "absence". Je lui souris, et fais comme si de rien était, puisque c'est le cas. Je lui adresse un bref signe de tête en guise de salut, et m'adosse au mur, bras croisés.

- Bon, et bien je crois qu'on va être ensemble pour les prochaines heures, alors autant se présenter. Je m'appelle Isobel.

Je souris. Si j'ai entendu parler de lui ? On a tous déjà entendu un mot à son sujet, il est plutôt célèbre, au camp.

- Bien sûr, le vilain garçon qui fait peur à tout le monde...
J'espère aussi qu'on ne s'ennuiera pas, j'ai déjà les paupières lourdes..Oui, Eole est mon père, et je suis ici en partie parce que lui aussi l'est. Tu es mal renseigné à ce que je vois.

Je le regarde, un peu méfiante, mais prête à encaisser un nouveau souvenir, si il en vient. Heureusement pour moi, je n'ai pas grand chose à me reprocher, juste quelques histoires, toujours en rapport avec ma demie-soeur et de toute façon, c'est beaucoup moins...réel que la première fois. Ce ne sont que des broutilles, je me revois déchirer sa peluche fétiche - encore une fois, ce n'était qu'un juste retour des choses- en mille morceaux et à nouveau, je la vois se mettre à pleurer en me hurlant dessus. Déjà petite, il ne fallait pas me chercher, alors imaginez maintenant..

Quoiqu'il en soit, et heureusement pour moi, rien d'insupportable ne me vient à l'esprit, et pas de culpabilité débordante qui me ferait pleurer jusqu'à supplier Shawn à genoux (heureusement pour ma fierté).

- Tu sais, j'étais assez impatiente de te rencontrer, j'étais curieuse de voir ce que ton don pourrait me faire. Mais apparemment, ça n'est pas aussi terrible que ce que certains prétendent. Néanmoins, je dois avouer que c'est...déroutant.

Autour de nous, tout est silencieux. Beaucoup trop à mon goût. Je n'aime pas le silence, je préfère largement avoir un bruit de fond. Sans doute est-ce dû à toutes ces années à la colonie, et désormais au camp. Mes yeux aimeraient beaucoup se fermer. Il n'est pas si tard que ça, pourtant, seulement, je me suis couchée trop tard, et normalement, une autre fille aurait dû venir à ma place. La chanceuse est tombée malade (je l'ai vue, et ça n'était pas beau à voir).

Pour ne pas m'endormir sur place, je me mets à bouger un peu, à frapper le bout de mon épée contre le sol...Juste de petits gestes (stressants pour les autres) qui me permettent de rester en mouvement sans m'épuiser encore plus (ce qui serait tout à fait idiot et inutile, puisque le but initial était justement de me tenir éveiller).

Je soupire à nouveau. Un peu d'action, ce serait trop demandé ?